« J’entends par symbolisme l’essence même de l’Art, l’intérieure splendeur qui donne à telle œuvre un rayonnement magique, qui fait qu’on la sépare et qu’on l’admire comme un diamant parmi des cabochons de verre », écrivit l’artistepeintre, graveur, illustrateur et scénographe belge CharlesDoudelet (Karel-Gustaaf Doudelet/1861-1938), en 1901, dans « L’Idée libre ».
Né à Lille, Charles Doudelets’installe à Gand, en 1877, après le décès de son père. Il devient le dessinateur attitré dela « Rijksuniversiteit » et développe, entre 1887 et 1902, un réseau artistique, en participant à de nombreuses expositions, revues et Salons, tout en devenantfranc-maçon.
C’est à cette période que débute une relation amicale avec l’écrivain belge Maurice Maeterlinck (Maurice PolydoreMarie Bernard Maeterlinck/1862-1949/lauréat, en 1911, du « Prix Nobel de Littérature »). Ensemble, ils conçoivent de nombreux projets comme desdécors de théâtre, mais aussi desillustrations, dont les « Douze Chansons » (1896), de Maurice Maeterlinck, quelques-unes étant exposées au rez-de-chaussée, de même qu’un exemplaire de ce livre illustré.
Le commissaire de l’exposition, Denis Laoureux, écrit, en page 08 du catalogue : « Selon moi, ce qui fait l’originalité du positionnement de Doudelet dans le symbolisme, c’est son rapport à la littérature, qu’il aborde par le biais du livreillustré, que nous retrouvons, également, au premier étage, avec quatreaquarelles et crayons sur papier (Coll. Res/ Gent) illustrant, en 1897, « Van Jezus », de l’écrivain et poète belge néerlandophone Pol de Mont (1857-1931), de même que des blocs pour gravures, qui furent utilisés pour réaliser cet ouvrage.
En 1902, Charles Doudelet reçoit une bourse de quatre ans, pourétudier à Florence, où il fréquente différentesbibliothèques, copiant les livres précieux. Avant de revenir à Gand, il vécut à Livourne, puis à Rome.
Intellectuel passionné, il s’illustra par sa polyvalence et son audace graphique. A nous de le découvrir, au« Musée provincial Félicien Rops », jusqu’au dimanche 05 mars, la présente exposition se concentrant, dès 1890, sur ses années symbolistes, avec un focus sur les œuvres qu’il présenta, en 1917, à l’exposition de la « Ligue Théosophique », à Rome,9 étant exposées à l’étage de l’exposition namuroise, sur les 18qui furent présentées dans la capitale italienne, Charles Doudelet estimant que cet événement fut une réussite artistique, mais un échec commercial.
Son admiration pour la peinture flamandeet la Renaissance italienne, sa fascination pour les figures chrétiennes et pour sadéclinaison graphique de thèmes chers àMaeterlinck, nous permettent de suivre l’évolution de cet artiste, qui, n’étant pas catholique, était en perpétuelle quête spirituelle.
Ainsi, en page 150ducatalogue, nous apprenons que Charles Doudelet est un artiste doté d’une spiritualité exigeante, diplômé, en 1900, comme ‘Maître-Maçon’de la Loge gantoise‘La Liberté’, son brevet étant exposé à l’étage: « Au début des années 1900, Charles Doudeletest chargé par le gouvernement belge d’étudier d’anciens manuscrits flamands, en Italie. C’est là, à partir de 1904, que sa notoriété débute, puisqu’il se voit régulièrement solliciter pour des initiatives culturelles, qui ont la part belle au mysticisme et à l’ésotérisme. »
Evoquant Maurice Maeterlinck, Charles Doudelet expliquait (page 53 du catalogue) : « Tout est simple dans ma manière de rendre la pensée du poète, peu ou pas de meubles dans mes intérieurs, rien d’inutile dans mes paysages. Un lit seul, une table isolée, une chaise sans compagne, une plante, un arbre, un rocher, s’y trouvent ; mais c’est qu’alors ils sont nécessaires ; alors ils dominent, attirent les regards, parlent, dévoilent complètement et dans toute son étendue la raison de leur présence, provoquent la sensation voulue. »
Dans« La Beauté du Livre. Son aspect et sa structure à travers les âges », manuscrit inédit, jamais édité dans son intégralité , conservé à Gand, à la« Mediatheek Arteveldhoogeschool », Charles Doudelet écrivait : « Pour exprimer une idée, il était nécessaire de trouver un rapport entre le texte et les caractères, entre l’écriture et le verbe. Ces deux éléments sont si étroitement unis, que l’on ne pourrait les séparer sans causer de grands troubles, sans briser les rayons qui émanent de l’esprit. Si la forme des caractères d’écriture est étroitement liée à l’entendement, il en résulte que l’ornementation, l’illustration, seront essentiellement une conséquence de l’expression de l’âme d’un texte. »
Pour Charles Doudelet, « Le livre parle à l’oreille des sourds et illumine l’esprit, les yeux des aveugles. Il est le conseiller des humbles, des hésitants, le consolateur des affligés. Il n’y a rien de plus important que les livresdans l’histoire des nations … Un bon livre est un excellent ami. Il est consulté, il lui est rendu, il vous accompagne dans la solitude, dans les voyages ; c’est le fidèle compagnon, qui suit l’homme jusqu’à l’heure de la mort » (« Il libro illustrato », in« Bollettino di Bottego d’Arte »/1923).
« Doudeletconçoit, dessine et peint à sa manière : c’est un penseur profond, un très fin dessinateur, un coloriste d’une extrême délicatesse » (Arturo Lancellotti , in« Emporium »/1917).
L’exposition donne une part importante aux livres (l’un d’eux, « Béatrix », possédant une reliure en cuir de veau repoussé, avec serrures en laiton) et périodiques illustrés, ainsi qu’aux documents d’archives, le « MSK » (« Musée des Beaux-Arts »), à Gand, partenaire du projet, ayant sorti, d’un fonds inédit d’archives, des œuvres inédites, révélant des aspects inconnus de l’artiste.
Par ailleurs, trois oeuvres sont exposées pour la première fois à l’étranger, celles-ci provenant des … réserves du « Musée d’Orsay », à Paris. Parmi celles-ci, notons la présence d’unehuile sur toile, de 154 x 114 cm, « Le Détrônement » (1906), qui est la première oeuvre que nous découvrons, à peine entrés dans l’expo.
A son sujet, Charles Doudeletécrivait, vers 1914, àl’écrivain et journaliste ixellois Camille Lemonier (1844-1913) : « Voici ce que j’ai voulu exprimer. Le présent , personnifié par une femme jeune et virile, vêtue de rouge (symbole de la flamme du feu purificateur), qui arrache le passé du trône, représentée par une femme, parée comme une idole.A gauche, une trainée de fruits et de feuilles, débris d’offrandes entraînées dans sa chute. A droite et au fond, des femmes prient, l’une vêtue de noire, l’autre en bleu, signifiant l’esprit réactionnaire abandonnant la lutte. »
« Pour l’intérêt que vous portez à mon travail, j’aurais préféré vous donner la reproduction d’une oeuvre plus importante, néanmoins j’espère que celle-ci peut vous donner une idée assez exacte de ma tendance et du style ample, de la technique plus serrée que je poursuis en art. »
Concernant cette seconde huile sur toile exposée, G. A. Borgeseécrivit, in « Varietas », en 1904, àMilan : « Qu’on observe attentivement‘Ruysbroeck l’Admirable’, dans la singulière peinture qui fut admirée et déplu fortement dans une récente exposition, à Florence. Il parait devenu encore plus linéaire que ls troncs mêmes, parmi lesquels il vit, son oeil s’est fait explorateur des ténèbres comme celui du hibou. Sa méditation est arrivée au but, elle n’est plus puissance, elle est action, elle n’est plus effort et douleur, mais presque la calme joie d’une lente victoire. »
« De ses tableaux, ‘De Levensdraad’ (‘Le Fil de la Vie’) est sans aucun doute le meilleur », écrivait L. Crous, in « Deutsche Kunst und Dekoration », en 1899, à Darmstadt, continuant en ces termes : « Doudelet aime les tons bleu-vert profonds, qui donnent à ses peintures leur propre attrait. L’effet de‘De Levensdraad’ est saisissant ; un portique, devant lequel se trouvent les ‘Parques’, quatre figures féminines voilées et courbées tenant ‘Le Fil de la Vie’ dans leurs mains ; le tout baigné dans un clair de lune bleu. »
Concernant « La Frayeur », en 1944, à Trieste, E. Viezolli écrivit, in « Tipografia Moderna » : « Dans la figure de l’Homme, tourmentée soudain devant l’apparition fantomatique et sinistre de la Peur, et d’un coup entrave attribuable au mécanisme opprimé du coeur : les deux figures, la fantomatique et l’humaine, l’une incohérente et oppressante, comme les rêves et les cauchemars, l’autre corsée et émue, bien que relativement distante, sont reliées et enveloppées d’une magie qui dégage peut-être le charme le plus intense de la scène symbolique. En fait, elle est symbolique comme intensification extrême d’une réalité cultivée bien que transfigurée en une allégorie écrasante » (« Carlo Doudelet, lirico dell’Espressione »).
« Le problème de la mort semble hanter la vie de l’artiste. ‘La Fontaine de la Vie’ nous ramène au thème de la surviedes âmes. Sur un fond blanc se dessine, également blanc, un esprit long et maigre, qui vient de se détacher de son enveloppe terrestre, gisant vide sans vie sur le sol. A l’endroit du mystère de ce rite, un enchevêtrement de taches sombres larges et trapues apparaît sur les corps des dormeurs, représentant la matière brute. Le contraste est net, le motif des blancs et des marrons, avec des contours linéaires, précis et nets, contribuent à mettre la pensée raffinée de Doudelet en valeur », écrivit Arturo Lancellotti, in « Emporium », en 1917, à Bergame.
Concernant le symbolisme et Charles Doudelet, le commissaire, Denis Laoureux, écrit (p. 29 du catalogue) : « Le symbolisme correspond à une remise en question des valeurs. L’emprise du catholicisme, le matérialisme bourgeois, le positivisme sont débattus. Le doute s’empare des esprits : la crise est aussi subjective, intérieure, spirituelle. Le symbolisme belge se positionne, dans les années 1890, comme un questionnement sur la nature du divin. C’est ici qu’il convient de situer l’apport de Doudelet. »
«‘Les Portes d’Or’, ce sont celles qui ferment le temple du reste accessible qu’aux âmes privilégiées de toute préoccupation matérielle », écrivait l’artiste, en bas d’une gravure. Art, spiritualité et symbolisme convergent chez Charles Doudelet, unartisteinspiré par l’iconographie chrétienne et occulte.
Ouverture : jusqu’au dimanche 05 mars, du mardi au dimanche, de 10h à 18h. Prix d’entrée : 5€ (2€50, en prix réduit / 1€50, par membre d’un groupe scolaire / 0€, pour les moins de 12 as, les « Art. 27 », et, pour tous, les premiers dimanches du mois).Ecouteurs :2€. Catalogue (J. Boddaert, T. Deprez, G. Di Stazzio, V. Carpiaux, D. Gueguen, M. Introvigne & D.Laoureux/Ed. « Silvana Editoriale »/2022/144 p.) : 32€. Contacts : 081/77.67.55 &info@museerops.be. Site web : http://www.ropslettres.be.
Prochaine exposition, du samedi 27 mai jusqu’au samedi 23 septembre : « Hommage à Pan. Peter Depelche ».
Soulignons que pour lesenfants, de 08 à 12 ans, un stage artistique est prévu, du lundi 27 février jusqu’au vendredi 03 mars, « De l’Illustration à la Reliure », durant lequel chacun composera chaque page deson carnet d’artiste, grâce à différentes techniques (cyanotype, enluminure, gravure, monotype, …), en s’inspirant des collections des deux musées provinciaux, le« TreM.a » (trésor d’Hugo d’Oignies {1178-1240}, peintures à l’huile d’Henri Blès {vers 1500-vers 1555.}) et le « Musée Félicien Rops » (gravures et dessinsde Félicien Rops {1833-1898}). Ensuite, un atelier de reliure japonaisesera animé parAlexandre Rosman, un artisan au service du livre et du papier.
Lieu : locaux pédagogiques du « Musée provincial Félicien Rops », rue de Fumal, 10. Prix : 60€, pour 3 jours (du lundi 27 février jusqu’au mercredi 01 mars ou du mercredi 01 au vendredi 03 mars) ou 80€, pour 5 jours (du lundi 27 février jusqu’au vendredi 03 mars). Inscriptions obligatoires :stage.musee@province.namur.be ou 081/77.54.76.
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