« CHANTAL AKERMAN : TRAVELLING », À « BOZAR », JUSQU’AU 21 JUILLET

« Chantal » (Philippe Chancel) © « Adagp »/Paris © « SABAM »/2023-2024
« Comment, de mon histoire, ou parce que ma mère n’a rien raconté des camps, sans doute, tout mon travail est né de ça […]. Il est né d’une sorte de trou que j’avais besoin de remplir et que j’ai été chercher à travers des films, et des mots, et des gens, et sans doute que je n’arriverai jamais à remplir, et c’est ce qui me poussera encore à travailler », écrivit la réalisatrice belge Chantal Akerman (Etterbeek/1950-Paris/2015).

Chantal Akerman
« Les images littérales finissent par ne plus émouvoir, il faut passer par un autre chemin, pour que les gens en face puisent exister et ressentir, dans un vrai face à face avec les images », écrivit-elle, en 2014.
Autre citation, en 2003 : « Je voudrais que le spectateur éprouve une expérience physique par le temps utilisé dans chaque plan. Faire cette expérience
physique que le temps se déroule en vous, que le temps rentre en vous. »

Chantal Akerman © « Fondation Chantal Akerman » © Photo : François Goudier
Organisée au « Palais des Beaux-Arts » (« Bozar »), jusqu’au dimanche 21 juillet, en collaboration avec la « Cinémathèque royale de Belgique » (« Cinematek ») et la « Fondation Chantal Akerman », entrons au sein de l’exposition « Chantal Akerman : Travelling » par l’habituelle porte de sortie, découvrant, immédiatement, les premiers écrans, avec la projection d’anciens films muets, tournés en noir et blanc, en « Super 8 », un format amateur, aujourd’hui disparu.

Chantal Akerman © « Fondation Chantal Akerman » © Photo : Piet Goethals
« Pourquoi tu commences par une tragi-comédie où tu joues toi-même ? Pourquoi tu t’en détournes pour aller vers des films expérimentaux et muets ?
Pourquoi ceux-là achevés de l’autre côté de l’océan, tu reviens par ici à la narration ? Pourquoi tu ne joues plus et puis tu fais une comédie musicale ? Pourquoi tu fais des documentaires et puis tu adaptes Proust ? Pourquoi tu écris aussi, une pièce, un récit ? Pourquoi tu fais des films sur la musique ? Et enfin à nouveau une comédie. Et puis aussi tu fais des installations. Sans te prendre pour une artiste. À cause du mot artiste »,
s’interrogeait Chantal Akerman (« Autoportrait en Cinéaste »/2004/p. 10).
Partant de cette citation, cette exposition en suit le rythme, les étapes, nous présentant de nombreux films, via des archives de production inédites, des extraits, des lettres et des photos de tournage, ainsi qu’une sélection des installations de cette réputée cinéaste, dont le film culte « Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles » (Belgique-France/1975/201’/ avec Delphine Seyrig & Henri Storck) fut labellisé « meilleur film de tous les temps », en 2022, par le magazine britannique « Sight & Sound », édité par le « BFI » (« British Film Institute »).

Delphine Seyrig dans « Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles » (C. Akerman)
Dans « Le Nouvel Obs », en 1989, un collègue français reprenait le propos de Chantal Akerman : « Je me retournais dans mon lit, inquiète. Et brusquement, en une seule minute, j’ai tout vu de Jeanne Dielman. »
Marquée par la déportation à Auschwitz de sa famille juive polonaise, sa maman étant la seule à revenir de ce camp d’extermination nazi, sa vision de « Pierrot le Fou » ( Jean-Luc Godard/France/1965/110’/avec Jean-Paul Belmondo) suscita tout son intérêt pour le cinéma.

Chantal Akerman dans « Saute ma Ville » (Chantal Akerman)
Notons que son premier court métrage muet, en noir et blanc, « Saute ma Ville » (Belgique/1968/12’30) fut entièrement tourné dans la cuisine de sa mère, à Bruxelles, ce film étant considéré comme l’une des œuvres introspectives pionnières dans les pratiques artistiques de l’époque, ayant été tourné grâce à la négociation d’actions de diamants, à la bourse d’Antwerpen.

« Traîner à Yonkers » (Chantal Akerman »)
Au sortir, en 1967, de l’ « INSAS » (« Institut National Supérieur des Arts du Spectacle »), à Bruxelles, où elle n’étudia qu’un semestre, elle émigra à New York, où – marquée par le contexte esthétique et social d’une ville en perpétuel mouvement – elle réalisa « Hanging out Yonkers » (« Traîner à Yonkers »/ Belgique/1973/45′), un magnifique « footage » muet, en format 16 m/m et en couleurs, témoin d’une rencontre avec des jeunes d’un centre pour toxicomanes, ces jeunes nous offrant une évocation du futur cinéma de Chantal Akerman,, au travers d’une réelle chorégraphie filmée autour d’un billard.

« Hôtel Monterey » (Chantal Akerman)
Fréquentant assidûment l’ « Anthology Film Arhives », elle se passionne pour le cinéma expérimental du réalisateur américain Jonas Mekas (1922-2019) et du cinéaste canadien Mixhael Snox (1928-2023), elle réalisa son premier long métrage muet, tourné à New York, dans un hôtel bon marché , réservé aux marginaux, « Hôtel Monterey » (Belgique-Etats Unis/ 1973/62′), le réalisateur belge André Delvaux (1926-2002) – lauréat, à titre posthume, en 2011, d’un « Magritte d’Honneur, pour l’Ensemble de sa Carrière », fait « docteur honoris causa », à l’ « ULB » – l’ayant recommandé au cinéaste et écrivain belge Eric de Kuyper (°Bruxelles/1942), qui la diffusa dans son programme « L’autre Ville » de la « BRT » (ancêtre néerlandophone de l’actuelle « VRT »), la propulsant, ainsi, dans carrière cinématographique.

Chantal Akerman dans « La Chambre (Chantal Akerman) © « Paradise Flms »
De retour à Paris, elle tourne dans une cuisine et une salle de séjour, servant, également, de chambre à coucher, son court-métrage muet expérimental, tourné en format 16 m/m et en couleurs, « La Chambre » (Belgique/1972/11′), qui se résume à trois longs panoramiques circulaires horizontaux, sur 360°, Chantal Akerman étant couchée sur son lit, mangeant une pomme, lors du 2è passage de la caméra.

« Un Divan à New York » (Chantal Akerman)
Parmi ses principaux films, citons la comédie « Un Divan à New York » (France-Allemagne-Belgique/1996/108’/avec Juliette Binoche/film lauréat, en 1996, d’un Prix, au « Karlovy Vary International Film Festival », en République tchèque), ainsi que « La Captive » (France-Belgique/2000/118’/avec Sylvie Testud), dont le scénario est, en partie, basé sur le roman « La Prisonnière » (1923), de l’auteur français Marcel Proust (1871-1922), son tournage ayant été influencé par un film d’Alfred Hitchcock (1899-1980) : « Vertigo » (Etats-Unis/1958/122′).

« La Captive » (Chantal Akerman)
Trois critiques pour son film « La Folie Almayer » (Belgique-France/2011/127′) :
- pour « Critikat.Com », par Arnaud Hée : « Par son ampleur et son ambition, ‘La Folie Almayer’ vient rappeler combien Chantal Akerman est une cinéaste essentielle. »
- pour « Les Fiches du Cinéma », par Olivier Bouchard : « D’un point de vue cinématographique, cette adaptation du premier roman de Joseph Conrad est une réussite totale, malgré un aspect narratif placé au second plan, au profit du travail formel et esthétique. »
- pour « Première », par Isabelle Danel : « La moiteur sourd de chaque plan ; des voix off relaient l’image qui distille, comme un poison, le colonialisme, la soif de l’or, la démence et la passion. Sublime. »

« La Folie Almayer » (Chantal Akerman)

Chantal Akerman, venue présenter « La Folie Almayer » © « FIFF »/Namur/2011
« Chantal Akerman. Travelling » se déploie au sein d’une douzaine de salles, sur plus de 1.000 m2, nous proposant , en outre, avec le support de vidéos, 7 installations artistiques, dont certaines réunies pour la toute première fois, comme « Voice in the Desert », présentée à la « Documenta », à Kassel, en 2002, ou encore, en clôture de la présente exposition, « Now », présentée à la « Biennale de Venise », en 2015, l’année de son décès.

Sa dernière Installation : « Now » (2015)
Cette dernière installation est constituée de sept projections (cinq sur écrans acryliques et deux au sol), sonorisées par sept canaux mono et stéréo, avec, entourant la porte de sortie, deux faux aquariums chinois et des tubes fluorescents.

« D’Est » (Chantal Ackerman)
Après la chute du mur de Berlin (1989), Chantal Akerman s’intéressa à l’Est européen, y séjournant, pour réaliser « D’Est » (Belgique-France-Portugal/1993/ 107′), capturant la réalité et la mutation des anciens territoires soviétiques, filmées de l’été à l’hiver, dans une série de travellings ou en caméra statique.

« D’Est : au Bord de la Fiction » (Chantal Akerman)
Créée à partir de ce film, réalisé en format traditionnel, nous découvrons, à « Bozar », son installation « D’Est : au Bord de la Fiction » (1995), composée de 24 écrans, disposés en huit séries de trois écrans vidéos. Un voyage, filmé de l’été à l’hiver, de l’Allemagne de l’Est jusqu’à Moscou, en passant par la Lituanie, la Pologne & l’Ukraine, Impressionnant !
Concernant ses installations, Chantal Ackerman écrivit : « Quand je m’attelle au matériau des installations, c’est comme un tournage de documentaire, tu ne sais pas où tu vas arriver, tu sculptes une matière, elle se met à s’organiser toute seule, et tout à coup l’œuvre est là, elle arrive comme une évidence. (…) Dans les installations je ne suis pas de fil, c’est magique, les possibilités multiples surviennent tandis que je malaxe la matière et c’est elle qui m’entraîne. Je la travaille, elle devient autre, et voilà on y est. L’invention provient de la transformation, le processus est libre et fascinant, une pure jouissance. »

Chantal Akerman
De retour à ses films, nous nous devons d’évoquer « Sud » (France/1999/71′), un documentaire traitant de crimes racistes insoutenables, perpétrés dans le Sud des Etats-Unis, tel le meurtre de James Byrd Jr., lynché par trois jeunes Blancs.

« Le Sud » (Chantal Akerman), avec un shérif blanc enquétant sur le meurtre d’un Noir
Concernant ce documentaire, Chantal Akerman écrivit : « Le chemin a été long et tortueux pour arriver à l’idée de ce film. Long ce chemin, qui m’a finalement fait comprendre que ce film tournerait une fois de plus autour de ce qui continue à m’obséder : l’histoire, la grande et la petite, la peur, les charniers, la haine de l’autre, de soi et aussi l’éblouissement de la beauté. »
En conclusion, reprenons le propos de la commissaire, Laurence Rassel, : « De Bruxelles au désert, quelque part au Mexique, au Moyen-Orient, en Amérique et en Europe, Chantal Akerman a filmé, parlé, écrit, marché dans des villes, a fait des rencontres, suivi des routes, écouté la radio et lu. Elle a ri, couru, aimé et fait sauter une ville. »
Ayant été faite « Chevalier de l’Ordre de Léopold », ayant enseigné en Suisse, à l’ « European Graduate School », à Saas-Fee, et aux Etats-Unis, à la « City University of New York », Chantal Akeman – dépressive, affectée par le décès de sa maman – mit fin à ses jours, il y a près de 9 ans, le 05 octobre 2015, à Paris, où elle est inhumée au cimetière du Père Lachaise. Depuis 2020, à Bruxelles, une rue porte son nom, de même qu’une allée, à Paris.
Chantal Akerman/2012
Ouverture : jusqu’au dimanche 21 juillet, du mardi au dimanche, de 10h à 18h. Prix d’entrée : 16€ (14€, dès 65 ans / 8€, pour les moins de 18 à 29 ans & les personnes en « intervention majorée » / 2€, de 6 à 17 ans / 0€, pour les moins de 6 ans, les détenteurs de la carte « museumPASSmusées » & toute personne en chaise roulante). Accessibilité pour les PMR : avec l’aide du personnel d’accueil (contacts préalables : fieldcoordination@bozar.be & 02/507.82.15). Catalogue (Ed. « Lanoo »/broché/208 p./24 x 17,5 cm/2024) : 35€. Site web : https://www.bozar.be/.
Notons que l’essentiel de la présente exposition sera proposé à Paris, au « Jeu de Paume », du samedi 28 septembre 2024 jusqu’au dimanche 19 janvier 2025.
Par ailleurs, jusqu’au dimanche 21 juillet, nous pouvons voir différents films réalisés par Chantal Akerman, en nous rendant à la « Cinematek ». Pour la programmation, se référer au site web : https://cinematek.be/fr/programme/calendrier.
More Stories
28È « BRUSSELS SHORT FILM FESTIVAL », DU 24 AVRIL AU 03 MAI
« FIESTA » : PARADE ET EXPOSITIONS DE « LILLE 3000 », DÈS LE 26 AVRIL
« LES JOURS DE MON ABANDON », AU « THÉÂTRE DE NAMUR », DU 17 AU 19 AVRIL