RÉTROSPECTIVE DES SCULPTURES D’EUGÈNE DODEIGNE, À « LA PISCINE », À ROUBAIX, JUSQU’AU 12 JANVIER 2025
« La sculpture est un combat, une lutte contre la matière. Il faut jouer des poings » (Eugène Dodeigne).
« La sculpture, d’abord, c’est abstrait. Ce sont des rapports de formes, des passages de lumière » (Eugène Dodeigne).
Eugène Dodeigne parmi ses sculptures (vers 1954) ⓒ Ph. : Archives Dodeigne
*** « Eugène Dodeigne. Une Rétrospective II » :
ⓒ « La Piscine »
Avec près de 200 œuvres, souvent inédites ou rarement montrées, issues des collections publiques et privées, cette première rétrospective, sur 1.000 M2, consacrée à l’œuvre d’Eugène Dodeigne (1923-2015) se propose de nous aider à (re)découvrir un acteur essentiel de la scène artistique française de la seconde moitié du XXè siècle.
Programmée, une première fois, en 2020, à « La Piscine, Musée d’Art et d’Industrie André Diligent », l’exposition n’avait pu ouvrir ses portes au public à cause de la pandémie. Remontée, exceptionnellement, cet automne, avec une présentation repensée pour l’occasion et de nouveaux prêts, cette rétrospective est l’occasion unique de découvrir un portrait renouvelé de l’artiste, en reconsidérant son œuvre dans toute sa richesse.
Dès notre entrée dans le jardin de « La Piscine » nous sommes accueillis par l’ « Homme des Neiges » (1960), une sculpture de haute taille, dont le visage est creusé de deux profonds sillons, matérialisant les yeux.

Eléments de mobilier créés par Olivier Dodeigne ⓒ Photo : « Pib »/« La Voix du Nord »
A l’intérieur, aux côtés de ses sculptures en pierres de Soignies (une Ville proche de son lieu de naissance, Rouvreux, en Province de Liège), sont présentés ses sculptures en bois, en bronze, en plâtre et en terre cuite, ainsi que ses dessins, éléments de mobilier et peintures, embrassant près de soixante ans de création, le tout présenté dans une attachante scénographie.

Une attachante scénographie ⓒ Photo : « Pib »/« La Voix du Nord »
Par ailleurs, dans les cabines de bain du 1er étage, nous découvrons une sélection de ses photographies, issues d’un don récent et exceptionnel offert à « La Piscine » par ses deux filles, Catherine & Claire.
Quoique né en Belgique, Eugène Dodeigne fut, rapidement, naturalisé français, alors que ses parents s’installaient dans le Nord. Né sous le signe de la pierre, il est l’héritier d’une famille de tailleurs de pierre, originaires de la région de Soignies. Dès l’âge de 13 ans, il apprenait le métier, auprès de son père, marbrier, manifestant des prédispositions, repérées dans deux « Ecoles des Beaux-Arts », à Tourcoing, d’abord, et à Paris, ensuite, ses études l’ayant mené au métier d’artiste.

‘L’Elan » (bois/1954) ⓒ « ADAGP »/Paris/2024
L’historien français de l’art, Serge Lemoine (°1943) écrit, dans la préface du Catalogue : « Eugène Dodeigne, il faut le dire d’emblée, est l’un des grands sculpteurs de la seconde moitié du XXè siècle. L’un des plus singuliers, aussi. L’un des plus classiques en même temps. Ajoutons : l’un des moins connus dans son pays. »

« Maternité » (1949), « Invocation » (1948) et Portrait d’E. Dodeigne (1954) d’A. Van Hecke © Ph. : Guy Boyer
Concernant ses sculptures de visages, Serge Lemoine poursuit : « Le sujet de ses sculptures et qui s’impose, est celui de la figure humaine. Il la représente toujours debout, droite, immobile ou esquissant un mouvement, courbée, penchée mais dans le même plan, parfois accroupie. Quelques bustes, quelques torses et des compositions qui ont pour titres : ‘Couple’, ‘Force et Tendresse’, ‘Groupe de sept’. Son unique thème et sa seule source d’inspiration sont l’homme et la femme. Il s’agit d’un art humaniste et qui trouve aussi ses fondements dans la culture septentrionale, Eugène Dodeigne étant un artiste du Nord. »
Et d’ajouter : « Dans (son) art, le travail est une des composantes essentielles. Quand il se tourna vers le bronze, il décida de réaliser lui-même la fonte dans son atelier. Quant à ses esquisses en terre cuite, il en a effectué la cuisson dans son four, qu’il avait évidemment lui-même fabriqué. »

Eugène Dodeigne
Le commissaire scientifique de l’exposition, l’historien français de l’art, Germain Hirselj, insiste : « Eugène Dodeigne est une figure artistique régionale extrêmement importante, l’une des pierres angulaires du ‘Groupe de Roubaix’, qui a marqué la sculpture des ‘Trente Glorieuses’. Cette exposition est un hommage mérité à cet artiste extrêmement complet et complexe, qui était très économe de ses mots, très peu grandiloquent, préférant, je crois, que ses oeuvres parlent pour lui. »

« Tête » (pierre de Soignes/vers 1966) ⓒ « ADAGP »/Paris/2024
Au sein du catalogue, nous lisons : « Eugène Dodeigne pratiqua le bronze jusqu’en 1974, date à laquelle il réalisa une dernière série de bustes, véritables variations sur la position des mains et leur force expressive … La pierre de Soignies avait toujours sa préférence, même s’il sculptait, également, le marbre de Carrare ou la pierre de Massangis … Chez lui, la création suivait le rythme des saisons, l’hiver étant consacré au dessin et à la peinture, le printemps à la taille de la pierre, ce travail, en taille directe, étant devenu son mode d’expression privilégié. »

« Mains levées » (vers 1966) ⓒ « ADAGP »/Paris/2024 ⓒ Ph. : A. Leprince
Au décès de cet artiste, la Maire de Lille, Martine Aubry, déclara : « Le Nord vient de perdre un de ses derniers géants. En voyant ces silhouettes à la fois massives et élégantes dressées place de la République, à Lille, face à la Citadelle, au ‘Palais des Beaux-Arts’, on ne peut que penser au regard bleu d’homme du Nord, à la poignée de main si solide et si chaleureuse, à la pudeur et à la discrétion de ce grand sculpteur que fut Eugène Dodeigne, qui sut transmettre son humanité à la pierre. »

Eugène Dodeigne ⓒ Photo : Denise Colomb/ »Grand Palais »
Assurément, une exposition à ne pas manquer pour toute personne intéressée par la sculpture, sachant que nous retrouvons quelques-unes de ses sculptures monumentales, spectres puissants émergeant de la pierre brute, au « LaM » (« Musée d’Art Moderne »), à Villeneuve-d’Ascq, ainsi que devant le « Palais des Beaux-Arts » et dans le « Jardin Vauban », à Lille.

Catalogue ⓒ « Editions Invenit »
Catalogue (« Editions Invenit »/2024/430 p./29 x 24,5 cm/460 illustrations/cartonné) : 40€, la 1ère édition, en 2021, ayant obtenu le Prix du « Festival international du Livre d’Art », à Perpignan.
*** « Les Expressions de la Matière. Visages d’une Collection » :
Nous ayant présenté sa 1ère exposition, « Dodeigne. Rétrospective II », en sa qualité de conservatrice, depuis le dimanche 01 septembre, de « La Piscine », l’historienne de l’art franco-autrichienne Hélène Duret (°1991) – heureuse que la présente exposition « rende sa pleine grandeur à un artiste d’envergure internationale » – tint a nous proposer l’exposition « Les Expressions de la Matière. Visages d’une Collection », regroupant une sélection d’une donation, en 2023, de 61 oeuvres faite à son musée.

ⓒ « La Piscine »
Outre quelques autres oeuvres d’Eugène Dodeigne, nous trouvons des dessins, peintures et/ou sculptures d’autres artistes du « Groupe de Roubaix » : Pierre Hennebelle (1926-2013), Jean Roulland (1931-2021), Marie-Christine Remmery (°Steenwerk/1962), Marc Ronet (°Marc-en-Baroeul/1937) et Arthur Van Hecke (1924-2003).

« Masque » (bronze/1962) ⓒ « ADAGP »/Paris/2024
Egalement, cette donation est riche d’un superbe ensemble de céramiques expressionnistes de Pierre Amourette (°Jersey/1947) , qui viennent magnifiquement renforcer l’un des axes forts du projet du musée, très engagé dans la présentation du travail contemporain de la terre.

« Autel » (terre vernissée/vers 2014) ⓒ Photo : Alain Prince
*** « Mado Jolain. Céramiste. Côté Maison. Côté Jardin » :
Egalement, dans le domaine de la céramique, découvrons le travail de la céramiste française Mado Jolain (1921-2019), qui s’initia son art , au début des années ’40, à l’ « École nationale des Arts décoratifs », à Paris, fréquentant, parallèlement, les ateliers de dessin et de sculpture de l’ « Académie de la Grande Chaumière », dans le quartier Montparnasse, où elle rencontra son futur mari, le céramiste, décorateur d’intérieur & peintre français René Legrand (1923-1996).

ⓒ « La Piscine »
Sa production reflétait, alors, le goût de l’époque pour l’imagerie populaire, ces créations étant régulièrement présentées à Paris, au « Salon de l’Imagerie » et au « Salon des Artistes Décorateurs ».

Céramiques de Mado Jolain © « La Piscine »
En 1955, elle exposa dans la renommée « Galerie La Demeure », qui participa à la renaissance de la tapisserie contemporaine tout en introduisant des objets en céramique. Ainsi se révéla la vraie nature de son travail, l’élaboration et la construction de l’objet l’intéressant davantage que le décor, qui va désormais tendre vers l’abstraction.

Dans une cabine de bains, céramiques de Mado Jolain © « La Piscine »
À la fin des années 1950, Mado Jolain s’installe avec sa famille sur les bords de la Marne, à Champigny, quittant alors le monde de la maison pour celui des jardins, créant des “capteurs de lumière” qui enrichissent le monde végétal. Ce sont, d’abord, des jardinières et des cache-pots, enrobés d’un émail monochrome jaune ou vert anisé, puis des engrenages et des fleurs. Les formes s’épurent, gagnent en force, les stries et perforations devenant les seuls décors s’articulant autour des pleins et des vides, pour l’accroche de la lumière.
Mado Jolain
Vint, en 1964, un voyage au Japon, où Mado Jolain visita l’atelier du céramiste japonais Shōji Hamada (1884-1978) et un autre au Royaume-Uni, sur les traces de Bernard Leach (1887-1979). Malgré ces visites aux Maîtres d’après guerre de la céramique, Mado Jolain restera inspirée principalement par les recherches des grands architectes comme Alvar Aalto (1898-1976), Le Corbusier (Charles-Édouard Jeanneret-Gris/1887-1965) et Jean Prouvé (1901-1984).

Dans les cabines de bains, des céramiques de Mado Jolain © « La Piscine »
Lisons ce qu’a écrit Karine Lacquemant, conservatrice en charge des arts appliqués : « Mado Jolain vibre de son humilité mais aussi de sa rigueur et de son exigence ».
« Pichet à Poignée » ⓒ « La Piscine »
A noter que son « Pichet à Poignée » (1955) – qui fait mouche avec son habillage moucheté – fut offert, récemment, par sa famille à « La Piscine ».

Catalogue ⓒ « Snoeck Publishers »
Catalogue (« Snoeck Publishers ») : 20€.
*** « Tailleurs de Volumes », jusqu’au dimanche 16 février 2025 :
Nous éloignant des « tailleurs de pierre », tel Eugène Dodeigne, à l’étage de « La Piscine », nous découvrons des créations de « Tailleurs de Volumes », le dictionnaire « Larousse », de 2024, nous donnant cette définition de « Tailleur » : « artisan qui fait des vêtements sur mesure. »

ⓒ « La Piscine »
En découvrant ces créations, nous nous rappelons que Roubaix est le principal centre textile du Nord, cette exposition nous présentant un florilège de tenues issues des collections de « La Piscine ».
Clôturant notre visite de ces expositions d’automne, soulignons que de nombreuses similitudes peuvent être relevées entre le sculpteur et le couturier. Outillés d’un ciseau à graver et d’un marteau ou bien d’une aiguille à coudre et d’épingles, tous deux ont la capacité de développer dans l’espace leur matière première afin de créer silhouettes, corps et réalités nouvelles.

ⓒ « La Piscine » © Photo : Laura Louvrier
« Que ce soit à travers certaines de ses techniques, dont la plus évidente est le moulage, ou bien par une exploration des jeux de textures, de palettes et de volumes, la mode s’illustre comme art majeur appliqué au vivant« écrit Amélie Boron, la commissaire scientifique de cette dernière exposition, en charge de la « Collection Mode » de « La Piscine ».
Ouverture des expositions d’automne : jusqu’au dimanche 12 janvier 2025 (excepté « Tailleurs de Volumes », jusqu’au dimanche 16 février 2025), du mardi au jeudi, de 11h à 18h, le vendredi, de 11h à 20h, les samedi et dimanche, de 13h à 18h. Prix d’entrée : 11€ (9€, en tarif réduit). Transports en commun : à 300m de la gare ferroviaire Jean Lebas, ainsi que des stations de métro « Gare Jean Lebas » & « Grand’ Place ». Contacts : lapiscine.musee@ville-roubaix.fr & 00.33.3/20.69.23.60. Site web : http://www.roubaix-lapiscine.com.
Quatre visites guidées de l’exposition « Eugène Dodeigne. Une Rétrospective II » sont programmées les samedis 04 & 11 janvier 2025, à 15h et 16h15. Réservations sur place : dès 13h, au plus tard 1/2 heure avant la visite guidée.
Du samedi 01 mars jusqu’au dimanche 01 juin 2025, les expositions du printemps nous proposeront « Rodin/ Bourdelle. Corps à Corps » (un face à face captivant), « Elsa Sahal : Pool Dance » (dialogue avec les oeuvres de Rodin, avec des céramiques audacieuses) et « Sens dessus dessous » (l’art du déshabillé dans les collections mode de « La Piscine »).
En outre, six oeuvres de Camille Claudel seront prêtées à « La Piscine », pendant les travaux de rénovation du « Musée Camille Claudel », à Nogent-sur-Seine. Une nouvelle belle opportunité pour nous rendre à Roubaix, au printemps.

A la vanille de Madagascar, d’onctueuses gauffres, crées en 1849 ⓒ « Méert »
Soulignons la possibilité de déjeuner ou de gouter à « La Piscine », dans la brasserie-salon de thé « Méert », maison fondée en 1677. Ouverture : du mardi au dimanche, de 12h à 18h. Réservations : 00.33.3/20.01.84.21.
A découvrir dans le Nord, pour compléter votre journée :
- « Le Fresnoy », à Tourcoing : « Panorama 26 », jusqu’au dimanche 05 janvier 2025.
- « MUba Eugène Leroy », à Tourcoing : « Rêver debout », jusqu’au lundi 24 février 2025.
- « Palais des Beaux-Arts », à Lille : « Expérience Raphaël », jusqu’au lundi 17 février 2025.
- « Musée Henri Matisse », à Cateau-Cambrésis : « Henri Matisse, comment j’ai fait mes Livres », jusqu’au dimanche 13 avril 2025, … ce superbe musée ayant été réouvert le 22 novembre, après 18 mois de rénovation.
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